29 janvier 2018

NOTE : Futur de l’Europe : affronter les crises récurrentes

Aurélien RACCAH

« J’ai toujours pensé que l’Europe se ferait dans les crises, et qu’elle serait la somme des solutions qu’on apporterait à ces crises ». Cette conviction de Jean Monnet n’a guère été affectée par le temps. Échec du traité établissant une constitution pour l’Europe, crise financière, flux migratoires, réforme de la gouvernance Schengen, abandon du TAFTA, surprise du Brexit, fiasco du CETA, montée des extrémismes… L’Union européenne affronte une série discontinue de crises politiques aux conséquences juridiques disparates.

1. Plus d’Europe face aux crises politiques

Paradoxalement, ces crises n’affectent pas directement l’ordre juridique européen. La plupart des mesures adoptées depuis 2009 par les institutions européennes tendent même à renforcer le dispositif légal. Le Traité de Lisbonne a transféré à l’UE presque l’intégralité des compétences prévues par le traité précédemment rejeté, faisant fi des référendums français et néerlandais de 2005. Depuis 2010, la stratégie « Europe 2020 » a développé un scénario de sortie de crise financière en renforçant la gouvernance économique de l’UE (cf. paquet législatif « six-pack ») : les « semestres européens » permettent désormais à la Commission européenne de contrôler l’élaboration des budgets nationaux, le mécanisme de stabilité financière dispose d’une autorité pour aider les États confrontés à des crises systémiques et une union bancaire surveille et gère les faillites des grands établissements bancaires. Des universitaires et hommes politiques proposent même de créer une assemblée parlementaire de la zone euro.

Suite à la crise migratoire issue des printemps arabes et au conflit syrien, l’espace Schengen, fortement critiqué pour le manque de coordination entre les États membres, a été réformé. Depuis 2013, un nouveau mécanisme évalue et contrôle le respect des règles de Schengen et élargit les possibilités de réinstaurer des frontières en cas de « menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure ». De surcroît, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes qui a remplacé Frontex l’an passé voit son budget annuel passer de 143 à 322 millions d’euros et ses effectifs de 400 à plus de 1.000 entre 2015 et 2020.

Les crises politiques consolident le droit de l’UE. Pour la seule année 2016, plus de 1.500 décisions, 1.300 règlements et 50 directives ont été adoptés par les institutions européennes. Cette marche forcée vers plus d’Europe s’effectue sûrement au détriment de la compréhension des peuples. Ainsi qu’a pu le décrire le journaliste Jean Quatremer, « gouvernée par des technocrates apatrides qui ne rendent compte à personne, l’Union est la négation même de la démocratie » (Les Salauds de l'Europe: guide à l'usage des eurosceptiques, Paris, Calmann-Lévy, 2017).

Cette dichotomie perpétuelle entre un État de droit européen en développement et des politiques naviguant de Charybde en Scylla requiert d’évaluer les risques juridiques liés à la construction européenne. Les conférences organisées durant l’année 2016/2017 par le C3RD et l’IELS se sont concentrées sur ces thématiques liées au « Future of Europe ». La sortie du Royaume-Uni de l’UE ouvre une boîte de Pandore qui remet en question l’uniformité du droit de l’UE.

2. La déconstruction du droit de l’Union au Royaume-Uni

Depuis le fameux « rabais britannique » obtenu par Margareth Thatcher en 1984, le Royaume-Uni a bénéficié d’une série de clauses d’exception dites « opt out » : espace Schengen, union économique et monétaire, Charte des droits fondamentaux, espace de liberté, sécurité et justice… En 2011, Westminster avait adopté un European Union Act 2011 renforçant ses propres pouvoirs en cas de modifications des traités européens et exigeant un référendum national en cas d’atteinte à la souveraineté nationale. En 2012, Westhall n’avait pas signé le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) par lequel les Etats membres s’engageaient à respecter la règle d’or budgétaire, à savoir ne pas dépasser un déficit public supérieur à 3% du PIB. En 2016, quatre mois avant le référendum, sur demande du Premier ministre David Cameron, le Conseil européen accordait au Royaume-Uni un nouvel « arrangement » de vingt-huit pages applicable en cas de victoire du « Remain ». Alea jacta est. Si le Royaume-Uni était resté dans l’UE, il bénéficierait d’une nouvelle série d’exceptions. La situation ne serait pas plus aisée. Si Theresa May a opéré le choix d’un « hard Brexit », consistant à sortir intégralement du marché intérieur, les premières discussions officielles semblent néanmoins conserver les droits à la libre circulation acquis par les ressortissants britanniques et européens. Premier sujet, première concession.

De nos recherches se dégage la complexité juridique du Brexit. L’article 50 UE n’a dépeint qu’un cadre succinct permettant à un Etat membre, « conformément à ses règles constitutionnelles » de se retirer de l’UE. Au Royaume-Uni, le référendum organisé le 23 juin 2016 n’a eu, en définitive, qu’une portée consultative. Saisie par des Lords, la High Court a affirmé le 8 novembre 2016 que la souveraineté parlementaire exige un vote de Westminster pour modifier l’acte d’adhésion de 1972 (European Communities Act 1972). L’appel devant la Supreme Court, dont le jugement a été rendu le 24 janvier 2017, a donné lieu à d’importants débats dans lesquels se sont opposés des règles constitutionnelles peu écrites et un peuple qui a voté en faveur du « Leave » à 51,9%. En définitive, pour ouvrir la procédure de l’article 50 UE, un Act du Parlement est requis.

Le sablier a été tourné le 17 mars 2017 avec la publication du European Union (Notification of Withdrawal) Act 2017, accompagné d’un livre blanc présentant les contours d’un Great Repeal Bill qui transposerait l’intégralité du droit de l’Union en droit britannique.

Le 3 mai, le Conseil de l’Union a émis des recommandations en vue des négociations avec le Royaume-Uni et le 22 mai, l’Union a mis en place un groupe de travail ad hoc sur l’article 50 du TUE. Menées par Michel Barnier et David Davis, les négociations doivent durer en principe 2 ans, mais l’article 50 UE donne la possibilité d’allonger cette période. Côté britannique, le nouveau Department for exiting the European Union élabore le fameux Great Repeal Bill et tente d’anticiper toutes les situations. Trois missions lui sont assignées : abroger l’European Community Act 1972, convertir le droit de l’UE en droit britannique dans les domaines possibles et créer une compétence permettant d’adopter un droit dérivé britannique sur la base du droit de l’UE. Ces expérimentations juridiques donneront de la matière aux chercheurs.

3. Vers une refonte de l’UE ?


Le 1er mars 2017, la Commission européenne a publié un livre blanc détaillant cinq propositions pour « l’avenir de l’Europe » : la première – la plus réaliste – serait de poursuivre la construction européenne en renforçant les priorités de l’Union : marché intérieur, Schengen, zone euro, supervision financière, environnement, accords commerciaux, investissements pour l’emploi, le numérique, les transports, l’énergie… mais elle présente le risque d’une montée des partis populistes ; la seconde consisterait à se focaliser sur le marché intérieur et ainsi se limiter à une union commerciale ; la troisième – plus ambitieuse – regrouperait une ou plusieurs « coalitions de pays volontaires », de préférence autour des États membres de la zone euro, élargissant l’UE actuelle à la défense, la sécurité intérieure, la fiscalité ou encore les affaires sociales ; la quatrième proposition – pertinente – invite à réduire les politiques de l’UE pour concentrer les ressources limitées de l’UE sur un nombre réduit de domaines pour être plus rapide et efficace ; la cinquième rêve d’une Europe beaucoup plus unie dans tous les domaines, vers une union fédérale innommée. Ces pistes ont vocation à guider les travaux à venir pour donner une nouvelle impulsion politique.

Sur le plan juridique, les institutions sont dotées de compétences extrêmement larges. Pour autant, sans volonté des représentants politiques nationaux, aucune décision d’envergure ne peut fleurir. Reste à savoir si l’Europe se mettra en marche ou pas.


Source : FLD/C3RD

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